samedi 10 juillet 2010

Pisagua suite 2

A Paracas (Pérou), un quarantenaire argentin, plongeur aquatique, m'avait parlé d'un petit village chilien atypique situé au sud de Arica, à environ 2 heures de bus, puis uniquement accessible en autostop à 40 km environ à partir de la route panaméricaine. Outre sa faune et flore marine intéressante, il m'a déclaré avoir été envouté par son ambiance onirique et son passé riche.

Je fus en effet ébloui par la visite de Pisagua, modeste bourgade de 400 âmes coincée entre falaise et mer. 2 jours furent un peu justes pour découvrir toute la beauté et le mystère que renferme ce lieu à part.

Commençons par un peu d'histoire. Pisagua fut à son époque péruvienne un grand port commercial basé sur l'exportation du nitrate, fertilisant obtenu à partir du guano (caca d'oiseau) foisonnant sur les côtes avoisinantes. A cette époque, Pisagua comptait plusieurs milliers d'habitants, et était un lieu culturellement développé, en témoigne cet imposant théâtre importé d'Europe dont les planches attirèrent de nombreuses stars de l'époque, jusqu'au grand Caruso. A l'heure actuelle, la bâtiment décrépit dans l'oubli généralisé. J'apprends plus tard que c'est en fait une antique reproduction à l'identique du théâtre original qui périt dans les flammes en 1870.

Le 2 novembre 1879, l'une des plus grandes batailles de la guerre du Pacifique se déroula ici-même, avec à la clef l'un des tous premiers débarquements massifs de l'ère de la guerre moderne. Le Chili récupéra la ville et continua à exploiter le filon du nitrate.

Après la seconde guerre mondiale, la création en Europe des engrais chimiques sonnèrent le glas du l'exploitation du nitrate comme fertilisant, et Pisagua dut se réinventer pour ne pas sombrer. L'exportation de guano fut remplacée avec succès par l'exportation massive de poissons et fruits de mer, et la ville garda toute son aura et son attrait pour la bourgeoisie chilienne.

Finalement, et c'est ce qui rendit tristement célèbre Pisagua aux yeux de tous les chiliens, c'est la transformation de ce port florissant en bagne par Pinochet, où furent emprisonnés une partie de ses opposants politiques. Pendant toute la période de la dictature capitaliste (1973-1989), de nombreux hommes et femmes innocents y subirent diverses châtiments physiques et tortures. Certains y trouvèrent la mort. En 1990, on découvrit dans une fausse commune illégale le corps de 19 disparus ...

Pisagua ne se remit jamais de ce tragique épisode, et accumule les bâtiments abandonnés : une station de train, les locaux de la société d'exportation de salpêtre et de poissons, un gigantesque hôpital dont il ne reste que la façade, l'un des bâtiments-prison de Pinochet (qui fut converti un moment en hôtel par un tiers privé) et donc ce fabuleux théâtre (qui récemment est de nouveau foulé par des troupes amateurs). Les pêcheurs sont dorénavant d'humbles artisans, et la population locale semble avoir oublié le tragique passé de leur contrée.

Pour moi, la découverte de ces lieux furent émouvants et excitants. Tant d'endroits chargés en histoire et quasiment vierges touristiquement parlant, c'est du pain béni. De plus, les paysages ne sont pas en reste, les côtes sont tout simplement sublimes et abritent de nombreux animaux sympathiques comme des loups de mer, pélicans et autres albatros. La présence renforcée de volatiles charognards y est par contre plus surprenante, mais renforce le mystère. J'ai même vu un oiseau que je n'avais jamais vu auparavant. Une sorte de mouette noire marchant plus qu'elle ne vole, avec un long bec rouge en forme de seringue. Son apparence est toutefois moins étrange que son cri bizarroïde, entre la poule et l'être humain.

Pour finir, le cimetière situé au bord d'une falaise est tout simplement unique en son genre, avec ses centaines de tombes en bois se répartissant anarchiquement. Si on cherche encore plus loin, on découvre au bord d'une plage sauvage des ruines archéologiques témoignant de l'ancien emplacement du village. "Pisagua viejo" (le vieux Pisagua) fut autrefois balayé par un tsunami, et les habitants durent reconstruire à un autre endroit, où se trouve l'actuel Pisagua.

Je prends cette découverte inattendue comme la récompense d'un voyage qui touche à sa fin, et le fruit de la recherche de petits villages méconnus plutôt que d'endroits populaires. Et je n'ai qu'une envie, y retourner un jour pour compléter mon album de photos.

1 commentaire:

  1. C'est magnifique et passionnant Seb !
    Merci pour nous avoir encore une fois fait partager la visite d'un endroit que même "Faut pas rêver" ne doit pas connaître... La maison de Chiloé passe vendredi prochain sur la 3. On vous verra peut être ? On va brancher les magnétos ! Profite bien des derniers jours de ta première trentaine ! Gros gros bisous
    PM

    RépondreSupprimer

Signez, s'il vous plait !